Pour une agriculture à hauteur d’homme

Le 20 juillet 2017, le gouvernement lançait les Etats Généraux de l’alimentation, rassemblant tous les acteurs de la chaîne alimentaire – de la production à la distribution – afin de repenser nos schémas d’alimentation. Mais le projet de loi issu de ces discussions reste très décevant. Six mois de tables rondes rassemblant près de 1000 participants ont accouché de mesurettes, loin des enjeux soulevés par tous les acteurs des filières : quelques mesures techniques (hausse du seuil de revente à perte de 10% limitant ainsi les pratiques de prix prédateurs, quota sur les volumes vendus en promotion), des incantations (construction inversée des offres de prix en partant du coût des matières premières, un plan Ambition Bio) et quelques promesses … tout cela à cadre constant.

 

Notre modèle agricole est devenu insoutenable.

 

Sous l’effet combiné de son productivisme et de l’ouverture récente à la mondialisation, il a essentiellement conduit à la concentration des exploitations agricoles et à l’intensification de la production, au détriment des rythmes naturels et des particularités locales.

Insoutenabilité économique d’abord, car plus de la moitié des exploitations françaises ont disparu en 25 ans seulement, et les défaillances d’exploitations agricoles ne font que s’accélérer en 2017. Les agriculteurs, constamment sommés de s’endetter pour s’équiper afin de maintenir leur rendement sous la pression des cours agricoles ouverts à tout vent, n’arrivent plus à vivre de leur travail. Corsetés par une réglementation touffue où s’accumulent formulaires et critères administratifs, ils perdent le sens de leur métier. En 2016, le revenu moyen des agriculteurs est compris entre 1 083 et 1 250 euros par mois, pour 54 heures travaillées par semaine en moyenne. De leur côté, l’industrie agroalimentaire et la distribution sont en panne de création de valeur : lancées dans une course folle aux prix bas, elles en viennent à dégrader la valeur nutritionnelle de nombreux aliments en utilisant quantité d’additifs pour des produits « marketing », déconnectés de la matière première agricole. Leurs marges ne cessent de s’effriter et les relais de développement sont au point mort dans l’ensemble des pays mûrs.

Insoutenabilité écologique et sanitaire ensuite, car l’hyperproduction dégrade durablement la biodiversité et la qualité de nos sols. 80% des insectes volatiles ont disparu en un siècle ; la teneur des sols en nutriments et humus a baissé d’un tiers depuis 1950 ; 40% des surfaces agricoles françaises présentent un risque de tassement irréversible. La surexploitation épuise les terres ; la mono-exploitation les appauvrit. On importe des produits qu’on produit déjà, sans intégrer dans leur prix le coût carbone de leur circulation mondiale. Les consommateurs sont en pleine crise de confiance : moins d’un français sur quatre considère que pour être certain de la qualité des produits alimentaires, il vaut mieux acheter une grande marque. Deux millions d’utilisateurs de l’application Yuka analysent la composition de leurs produits avant de les acheter. Les agriculteurs, eux, ne supportent plus d’être stigmatisés pour leur utilisation de produits phytosanitaires intrants ou pesticides ou pour les mauvais traitements animaliers des fermes industrielles.

 

Face à ces défis, l’agro-écologie

 

Notre modèle doit être repensé, en tenant compte des spécificités de chaque filière, afin de faire de l’agro-écologie notre véritable projet pour l’agriculture. L’agro-écologie, c’est une pratique agricole qui amplifie ce que les écosystèmes ont de naturel, plutôt que de les contraindre artificiellement. C’est la remise au goût du jour de techniques anciennes, moins intensives, plus diversifiées, plus respectueuses des rythmes naturels, financièrement sobres et tout aussi rentables en raison d’une approche qualitative différenciée – y compris à l’export, surtout en période de surproduction chronique.

Certaines filières ont déjà obtenu des résultats significatifs. Dans l’élevage, le plan Econtibio a permis de réduire l’exposition aux antibiotiques des animaux de 20 % sur quatre ans (2012-2015). Dans la filière des fruits et légumes, des gammes produites sans pesticides de synthèse, remplacés par des huiles essentiels ou… des insectes, sont disponibles. Dans le domaine des grandes cultures, l’agroforesterie, la diminution des labours pour préserver la qualité et la biodiversité des sols, l’ajout de légumineuses dans les rotations des céréales sont autant de pistes à approfondir. De nombreuses initiatives de permaculture fleurissent en France, révélées par les 220 fermes maraîchères du Tour des Fermes d’Avenir.

Dans ce cadre, l’éducation des consommateurs à ces initiatives est évidemment centrale. Il incombe aux collectivités territoriales, qui organisent la vie en marge des activités scolaires en primaire et au collège puis au lycée, de l’assurer. Un encadrement des publicités serait également à privilégier. Mais cette éducation ne suffit pas à déployer une vision politique de ce que pourrait être une agriculture à hauteur d’hommes.

 

Trois actions politiques en faveur de l’agro-écologie.

 

  1. Tout d’abord, l’Etat peut directement soutenir ce modèle agricole en orientant les recherches de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) vers le développement et la diffusion, via les chambres d’agricultures, de telles techniques. Il peut également aider à la valorisation de ces produits auprès des consommateurs en créant un label facilement identifiable regroupant l’ensemble des démarches éparses existantes (vergers raisonnés, Bleu Blanc Cœur…). Il peut favoriser, par la commande publique, l’approvisionnement de la restauration collective en aliments produits par l’agro-écologie. Il peut faire bénéficier les emplois dans les fermes agro-écologiques d’aides spécifiques (baisses de charge, services civiques), et assurer une formation à ces techniques de meilleure qualité dans les lycées agricoles. Enfin, il peut inciter fiscalement l’industrie et la grande distribution à conclure des contrats pluriannuels permettant aux agriculteurs engagés dans des périodes d’expérimentation ou de reconversion en agro-écologie de bénéficier d’une visibilité sur les perspectives d’écoulement de leurs produits.
  1. Ensuite, la politique agricole commune (PAC), outil de financement (près de 9 Mds€ pour la France, 408 Mds € pour l’Europe) utilisé depuis un demi-siècle au service d’un modèle productiviste, doit être repensée. La rémunération fixe de l’agriculteur à l’hectare et par animal qu’elle assure ne peut perdurer. En plus d’avoir figé les inégalités de revenus entre agriculteurs et entre territoires (les 60% plus petits exploitants se partageant seulement 20% des subventions), elle constitue une prime à l’étalement des exploitations pour lequel la production fortement industrialisée est seule rentable. Autre inconvénient : la PAC conditionne ses financements au respect d’une réglementation tatillonne, lourde, uniforme, unilatéralement fixée par les administrations européennes et décorrélée de la réalité que vit le monde agricole.  

Plutôt que sur une logique de guichet, le soutien public doit être redéployé en faveur de l’agro-écologie sur une base contractuelle entre l’agriculteur concerné et l’administration territoriale compétente. Une marge de manœuvre suffisante serait ainsi laissée au décideur local pour valoriser l’impact écologique et social des pratiques mises en place par les agriculteurs, selon les territoires et les filières. Plutôt que des critères réglementaires édictés par des administrations distantes, un tel rapprochement entre la PAC et les territoires permettrait également de mieux rémunérer les externalités positives constatées des nouveaux projets agricoles (préservation de la qualité de l’eau, reforestation, pollinisation…).

La protection de l’agriculteur contre les risques de marché, quant à elle, doit être assurée par traités commerciaux et par la mise en place de droits de douanes spécifiques permettant de lutter contre le dumping social et environnemental des pays tiers exportateurs vers l’UE. S’il est pertinent que de telles mesures soient prises au niveau de l’Union européenne, la France ne doit pas hésiter à peser sur ces négociations pour garantir son « exception agricole ». Un « Buy European Act » dans le domaine alimentaire devrait également être poussé. Quant au soutien financier des agriculteurs exposés aux cours mondiaux, il doit prendre le tournant d’une logique d’assurance plutôt que de subvention. Le soutien public serait versé par les administrations territoriales en fonction des évolutions constatées des prix sur les marchés et de leurs impacts réels sur la santé financière des agriculteurs concernés à l’issue d’un « exercice » agricole (défini par filières). A terme, il incomberait aux interprofessions réunissant producteurs, distributeurs et transformateurs de mutualiser elles-mêmes les risques de production et de marché, en en partageant plus équitablement les coûts. La récente proposition de défiscaliser l’épargne de précaution des agriculteurs va dans ce sens.

  1. Enfin, l’agro-écologie n’est pas qu’une technique : elle suppose un écosystème, fait de plus petites exploitations, à taille plus humaine, beaucoup plus diversifiées en termes de production, et forcément confrontées aux coûts d’échelle et aux difficultés logistiques pour l’approvisionnement des marchés. Ici, l’Etat pourrait favoriser la transmission de patrimoines agricoles au-dessous d’un certain seuil par filières, limiter l’étalement des exploitations en rémunérant davantage le premier hectare et en réglementant mieux l’attribution du foncier, inciter fiscalement à la création de coopératives moins sectorielles pour mutualiser les équipements entre producteurs, porter et soutenir l’ingénierie des projets ou encore faciliter la création de marchés locaux au plus proche des producteurs – par exemple en imposant un moratoire sur la construction de centres commerciaux ruraux ou périurbains et en privilégiant la reconstitution des ceintures maraîchères aux abords des villes moyennes, incitant les grands distributeurs à changer leur modèle, d’une distribution de masse à une distribution plus ciblée.

 

L’urgence écologique, la volonté des consommateurs, la santé économique du secteur agroalimentaire (premier secteur industriel français) et de la distribution (premier pourvoyeur privé en emploi) nous obligent à réussir cette transformation profonde attendue par tous les maillons de la chaîne alimentaire. Car, comme le disait Brillat-Savarin, « la destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent ».

 

Gaëtan de Lamberterie & PFS

 


 

Dans le courant du prochain mois, nous publierons quatre séries de notes tentant de dessiner notre vision politique de l’écologie, émanant de nos adhérents, simples citoyens, professionnels des secteurs d’activité concernés ou bénévoles engagés dans des actions au service de l’environnement.

La première série introduit notre approche générale de l’écologie – ce que l’on pourrait appeler notre « vision » du sujet. Les textes sont à retrouver ici :
Edito : l’écologie est notre affaire.
L’écologie est la première des politiques.

La deuxième série s’attachera au thème de l’agriculture et de l’agroalimentaire : elle prônera de retrouver une agriculture qui soit « à hauteur d’hommes ». Les textes sont à retrouver ici:
Pour une agriculture à hauteur d’homme
Chronique de nos campagnes

La troisième série touchera à l’énergie, à ses enjeux et aux futurs développements des défis qui s’y rapportent. Les textes sont à retrouver ici:
Energie: panorama des enjeux écologiques
Energie solaire : se réapproprier l’écologie

Enfin, la dernière série aura trait à l’économie circulaire et à nos comportements en termes de consommation.

Nous espérons qu’en balayant ainsi largement ce sujet essentiel, nous puissions susciter autour de vous réflexions et… actions !